Caligula est probablement la production la plus ténébreuse de cette saison du TNM. On aurait presque envie de dire, « âmes sensibles s’abstenir », tant certaines scènes peuvent heurter le spectateur. De l’ouverture sanglante à des séquences de tortures, la pièce offre une vision très sombre du règne de l’empereur romain. Elle est à l’image de l’impétueux tyran dont la noirceur n’a d’égale que sa folie.
Sur scène, on assiste à la longue descente aux enfers de Caligula qui, à la mort de sa sœur et amante bien-aimée (Drusilla), perd totalement la raison. Il s’applique alors à se saborder, entraînant dans son sillage tout son entourage. Comme le résume bien René Richard Cyr, « Déjà mort à l’espoir, il cherchera à mourir à la vie ». Car face à l’absurdité de l’existence, Caligula refuse toute résilience. Il s’affranchit des marques de son humanité pour devenir une sorte de mort-vivant. Un redoutable fauve assoiffé de violence.
Caligula, un monstre humain
C’est Benoît McGinnis qui prête ses traits à Caligula. Habitué aux rôles exigeants, le comédien avait notamment interprété avec brio, Néron, un autre despote dans Britannicus (en 2006). Mais ici, McGinnis semble totalement possédé par son personnage. Il s’investit littéralement corps et âme dans Caligula. De l’allure, il en a le physique émacié et le regard hagard. De la voix, une rage bestiale.
Seulement, même dans les pires moments, son interprétation est bouleversante. Grâce à son jeu viscéral, elle transcende l’image d’un tyran sanguinaire. Sans excuser sa cruauté, le Caligula de McGinnis est avant tout un homme ravagé par le spleen qui ne parvient pas à surmonter son deuil. Un homme qui ravive sa souffrance en permanence et s’abandonne à ses pulsions. Sur scène, le déséquilibre du personnage est d’ailleurs accentué par une belle distribution.
Éric Bruneau joue Hélicon, l’âme damnée de l’empereur. Un rôle perfide taillé à sa mesure. Macha Limonchik est Cæsonia, l’amante venimeuse de Caligula. La comédienne est méconnaissable en brune sensuelle manipulatrice. Benoît Drouin-Germain interprète le naïf Scipion, l’éphèbe-poète qui tente de ramener le despote vers la lumière. Quant à la troupe de sénateurs, c’est une bande de vautours. Lâches et hypocrites, ils tremblent sous le joug du tyran, tout en rôdant dans son palais pour lui asséner le coup fatal. À leur tête, Étienne Pilon (Cherea), en redoutable militaire, chef des conjurés.
Caligula précipite ainsi le spectateur dans un abime de perversion. Une tragédie brutale savamment orchestrée par René Richard Cyr. De la strangulation au viol, la pièce s’expose sans filtre sans nous ménager. Le décor est d’une extrême sobriété, ce qui renforce le côté anxiogène de l’ensemble. C’est sans compter la puissance du texte de Camus dont la troublante actualité dérange. Car Caligula reste un proche parent des politiques qui foulent du pied la loi et la morale par leur mégalomanie et leur autoritarisme.
TNM jusqu’au 8 avril (+ supplémentaires)
Texte Albert Camus
Mise en scène et dramaturgie René Richard Cyr
Distribution Chantal Baril, Éric Bruneau, Louise Cardinal, Normand Carriere, Jean-Pierre Chartrand, Sébastien Dodge, Benoît Drouin-Germain, Milene Leclerc, Jean-Philippe Lehoux, Macha Limonchik, Benoît Mcginnis, Étienne Pilon, Denis Roy et Rebecca vachon