Guérilla. Définition : Guerre faite de harcèlement, d’embuscades, d’attaques soudaines, de coups de main, menée par des partisan(e)s, des groupes clandestins.
Une femme disparaît. Son histoire est ordinaire, car semblable à celle de tant d’autres femmes, mais extraordinaire, car inscrite dans la lutte et la résistance. Cette histoire nous est livrée par bribes par ceux qui l’ont côtoyée, de près ou de loin. Des fragments de vie et de combats durement livrés avec, en filigrane, cette cruelle impression de stagner. De ne pas être entendue. De ne pas être écoutée.
Cette histoire est celle de Claude, jeune femme bien de son temps. Féministe et engagée. Idéaliste, mais fatiguée. Une militante vacillante qui s’évanouit sans laisser de traces, sinon que les questions sans réponse semées dans la tête de ses proches.
Un lieu de recueillement en sa mémoire
Le public est convié à une vigile organisée par la colocataire de la disparue. Baignée dans la lumière enveloppante des bougies, la scène devient un lieu d’expression à l’abri du jugement et de l’oppression. En apparence, du moins, puisque le miroir qui compose le fond de la scène renvoie au spectateur son reflet et se charge de lui rappeler que personne n’est au-dessus de tout soupçon dans les événements menant à une disparition. Â
Qui devrait parler en premier? Son ami gay et compagnon de lutte (Jonathan Caron); sa soeur trans qui l’a vue grandir (Pascale Drevillon); son ex qui cherche désespérément à savoir si elle pensait encore à lui (Maxime De Cotret); sa coloc handicapée qui la côtoyait au quotidien (Maxime D.-Pomerleau); la chambreuse envahissante qui la remplace dans l’appartement (Sarah Laurendeau); la quidam sans filtre qui a vécu son éveil féministe grâce à une conférence de Claude (Myriam De Verger) ou la politicienne en mal de capital de sympathie (Marie-Claude St-Laurent)?


Au fil des témoignages, le portrait se précise autant que le mystère s’épaissit. Qui était-elle vraiment? Que lui est-il arrivé? A-t-on cherché à la museler, alors qu’elle s’apprêtait à faire un coup d’éclat aux abords des rencontres du G7? Y a-t-il encore des zones d’ombres que même ses proches ne pourraient nous révéler? Si elle n’est pas morte, pourquoi les aurait-elle abandonnés?
Chroniques de l’ordinaire
Coécrite par Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, Guérilla de l’ordinaire nous invite à dresser un état des lieux, à nommer notre colère quant aux inégalités qui persistent dans notre société.
Tout au long de la pièce, les proches de la disparue revivent sous nos yeux des épisodes de manifestations parfois subtiles et souvent grossières du sexisme ordinaire. Les commentaires non sollicités reçus lors de l’achat d’un soutien-gorge sans armature, une histoire d’un soir qui laisse un goût amer, un slogan plus que douteux affiché sur le bord de l’autoroute, la honte infligée aux femmes menstruées… toutes ces petites violences banales et pernicieuses qu’on dénonce du bout des lèvres en forçant un sourire pour ne pas trop bousculer l’ordre établi.
Embuscade bien rodée
La pièce réussit un pari risqué en attaquant de front plusieurs facettes d’un même combat. Telle une embuscade bien planifiée, elle nous attire dans son piège, nous mitraillant de toutes parts sans possibilité de rater sa cible. Si Guérilla de l’ordinaire touche la sensibilité exacerbée d’un auditoire converti, attirant un public déjà sensible à la cause, il est nécessaire de se rappeler que la partie n’est pas gagnée.
Surtout, il est réconfortant de constater que cette production du Théâtre de l’Affamée a le pouvoir de rassembler autant d’allié(e)s.
Guérilla de l’ordinaire
À la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 28 mars
Texte : Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent
Mise en scène : Marie-Ève Milot
Interprétation : Jonathan Caron, Maxime D.-Pomerleau, Maxime De Cotret, Myriam De Verger, Pascale Drevillon, Soleil Launière, Sarah Laurendeau, Marie-Claude St-Laurent
Musique sur scène : Mathilde Laurier