La Bonne Âme du Se-Tchouan ouvre la saison hivernale du TNM avec une fable orientale. Dans une ville imaginaire chinoise, la misère court les rues. Une prostituée, Shen Té se démarque de ses semblables par son altruisme. Mais quand un Dieu décide de la récompenser avec un peu d’argent, ses ennuis commencent. La jeune femme attise la convoitise de son entourage qui la sollicite en permanence. Pour s’en sortir, elle crée un double intraitable, Shui Ta. Un faux cousin impitoyable qui l’éloigne peu à peu de ses idéaux.
Voilà l’argument de la pièce de Bertolt Brecht où le dramaturge allemand s’interroge sur la condition humaine. Peut-on faire le bien dans un monde corrompu? Jamais question n’aura eu autant d’écho avec l’actualité. La réponse est pourtant loin d’être évidente comme le démontre le parcours de Shen Té.
Isabelle Blais incarne ce rôle-titre, scindé entre bienveillance et instinct de survie. La fraîcheur de son jeu souligne les nuances d’un rôle exigeant dont elle épouse les contours avec justesse. Sa performance est soutenue par une étonnante mise en scène portée par une troupe de comédiens/chanteurs.
Le Se-Tchouan, un théâtre musical
Lorraine Pintal nous offre une vision totalement éclatée de La Bonne Âme du Se-Tchouan. Une vision rafraîchissante dont l’originalité tient à un surprenant mélange des genres. La pièce prend des allures de cabaret berlinois avec un ensemble de quinze comédiens qui chantent sur la partition musicale de Philippe Brault. Certaines séquences pourront sembler un peu longues, seulement la distribution sert de point d’équilibre.
Que cela soit Daniel Parent (le maître de cérémonie), Linda Sorgini (Mi-Tza), Louise Forestier (la vieille Dang), Marie Tifo (la veuve Shin) ou encore Bruno Marcil (le barbier Shu Fu), pour ne citer que ceux-là, chacun campe son rôle avec assurance. Le duo mère-fils France Castel (Madame Yang) et Émile Proulx-Cloutier (Yang Sun) est aussi très convaincant.
C’est sans compter les costumes colorés et les maquillages expressifs qui renforcent l’exotisme de la pièce. Seule touche technologique, un écran incurvé situé en toile de fond. Mais malgré la flamboyance de cette version, La Bonne Âme du Se-Tchouan demeure assez sombre. La pièce montre les entraves du système capitaliste auquel Shen Té reste captive. Car sur les planches du TNM, l’œuvre de Brecht n’a jamais été aussi contemporaine. On y parle de corruption et d’égoïsme, de misère et de charité, d’amour et de manipulation. Après plus de 75 ans de création, la pièce n’est pas simplement remise au goût du jour, elle s’ancre dans la modernité.
Au TNM jusqu’au 11 février
De Bertolt Brecht
Texte français Normand Canac-Marquis
Création et direction musicale Philippe Brault
Mise en scène Lorraine Pintal
Distribution Isabelle Blais, Philippe Brault, France Castel, Guido Del Fabbro, Vincent Fafard, Louise Forestier, Josianne Hébert, Benoit Landry, Jean Maheux, Jean Marchand, Bruno Marcil, Pascale Montreuil, Daniel Parent, Marie-Ève Pelletier, Émile Proulx-Cloutier, Benoît Rocheleau, Sylvain Scott, Linda Sorgini, Marie Tifo