La LNI convoque sur scène, depuis deux ans, des auteurs de renom pour pasticher leurs œuvres. Durant 11 représentations, trois comédiens comptent uniquement sur leur folie créatrice pour restituer l’esprit de ces classiques sans sombrer dans la caricature. Le défi est de taille, mais on les sent prêt à tout pour nous transmettre leur amour du jeu.
Comme il était difficile de rendre justice à ce concept en un seul texte, nous avons assisté à trois soirées pour mieux en témoigner. Il en résulte trois visions aussi uniques que complémentaires.
La LNI s’attaque à Evelyne de la Chenelière
Durant une heure et trente minutes de pur plaisir, le public plonge dans l’univers introspectif de cette auteure prolifique. Grâce au grand talent des comédiens Réal Bossé, Salomé Corbo et Florence Longpré, son écriture prend vie avec du rythme, de la vivacité et beaucoup d’humour.
La première heure est ponctuée d’impros de 4 à 5 minutes où les comédiens explorent des thèmes et procédés récurrents de l’œuvre. Les impros mettront en scène dialogues intérieurs, flashbacks, flux de la conscience et pensée en temps réel et différents niveaux de discours.
Plusieurs impros réussissent à saisir ces thèmes comme la scène du café entre 2 personnes, avec un témoin qui réécrit l’histoire qu’elle voit. Florence Longpré comme témoin fait pleurer de rire. Ou encore la scène des monologues intérieurs où Salomé Corbo, en ligne au guichet automatique, fait défiler des pensées disparates et drôles de sa vie, comme penser à changer son tampon. Aussi, la scène de couple à l’aéroport entre Florence Longpré et Réal Bossé, incorporée de flashback de leur quotidien, de leur première rencontre et le présent avec le départ de l’homme. C’est touchant.
En deuxième partie, ces éléments sont repris par les comédiens en une seule impro de 30 minutes : un défi de taille, mais réussi. L’histoire, dotée d’un bon fil conducteur, intègre rires et humour fin, tout en disséquant la nature humaine, comme l’auteur aime si bien le faire. On y rencontre 3 personnes habitant dans le même immeuble : un homme divorcé, une jeune chanteuse et une écrivaine. Leurs vies finiront par s’entrecroiser et évoluer ensemble vers un avenir, qui sera peut-être meilleur.
Du bon matériel repris avec intelligence par les comédiens de la LNI et qui pourrait certainement servir à la future pièce de Madame de la Chenelière, qui sait 😉 ?
Martine Robergeau
LNI s’attaque à Feydeau
Ce soir, c’est Feydeauqu’on détourne. Pour nous expliquer la logique comique du vaudeville, les premiers exercices consistent à claquer des portes, travailler ses apartés, fabriquer des quiproquos… Des personnages commencent à apparaître au fil de ces premières saynètes, et on les retrouvera dans la longue improvisation finale. Toutes les ficelles du théâtre de Feydeau y passent : un vrai vaudeville est en train de se construire sous nos yeux. Florence Longpré excelle dans le rôle de la femme infidèle et ventriloque, qui donne sa voix à une statue de Saint Antoine pour rouler son mari trop croyant, et engage une comédienne pour lui faire jouer l’envoyé du Pape, chargé de ramener la relique (et le mari) au Vatican. Réal Bosséjoue à merveille le mari, bigot et rêveur, et Salomé Corbo est hilarante (et très juste) dans sa diction de cocotte naïve et superficielle.
Les trois compères ne se ménagent pas pour nous faire rire et inventer des situations d’une rare absurdité, au pied levé, devant un public conquis : la voix de Saint Antoine a des airs de Darth Vader, la comédienne se révèle être l’épouse de l’amant de la femme du mari (vous suivez ?). Certaines propositions sont moins réussies que les autres, qu’importe : les spectateurs soutiennent sans réserve les trois comédiens. D’ailleurs, leur écoute est si grande, leur gestuelle si précise, leur jeu si maîtrisé que l’on en oublierait presque qu’il s’agit d’une improvisation. On en sort ravi, le coeur léger – et l’oreille pleine de savoureuses punchlines.
Mélissa Golebiewski
LNI s’attaque à Racine
De tous les auteurs de la programmation, Jean Racineest le seul représentant de l’âge classique. Rendre hommage à ce maître de la tragédie revient donc à replonger dans un théâtre très codifié. Comme le rappelle Alexandre Cadieux (le co-animateur de la soirée) des règles précises structurent ces pièces, et la musicalité du vers imprègne chaque réplique. Quant à la passion amoureuse, elle gangrène chaque relation et consume les personnages. Côté ambiance, c’est donc un peu lourd…
Durant l’heure d’exploration, Réal Bossé, Salomé Corbo et Florence Longpré se confrontent au mécanisme tragique. En guise d’échauffement, ils doivent même déclamer en alexandrins. On assiste en direct à cet exercice périlleux où les comédiens tâtonnent, trébuchent et se lancent sans filet. Une vraie leçon d’humilité pour ces artistes qui sortent de leurs zones de confort. Ils sont d’ailleurs plus à l’aise dans les autres défis comme des scènes de confidence ou des prestations solos. Florence Longpré est bouleversante dans un personnage à fleur de peau, et Salomé Corbo nous offre un monologue déchirant. Quant à Réal Bossé, il est à son aise dans chaque situation.
Chaque séquence est l’occasion d’explorer les rouages de la tragédie classique (l’hypotypose, l’acmé, etc.) tout en insistant sur la flexibilité de jeu des comédiens. Dans un contexte improvisé, s’imprégner du ton et de la gravité racinienne est difficile. Le rythme, la posture et les silences sont autant d’éléments à considérer. Or, la LNI s’attaque à ce monstre sacré du théâtre sans en dénaturer l’esprit.
On est agréablement surpris par la seconde partie avec le concept de pièce « perdue et retrouvée ». Avec son impossible triangle amoureux, cette dernière demi-heure conclut bien cette soirée placée sous le signe de l’audace et de la créativité.
La LNI s’attaque aux classiques
Jusqu’au 21 décembre à l’Espace Libre
Avec : Réal Bossé, Salomé Corbo et Florence Longpré
Mise en scène : François-Étienne Paré
Conseiller dramaturgique : Alexandre Cadieux
La LNI VS les classiques : de l’impro de haute voltige was last modified: décembre 17th, 2016 by Thomas Campbell
Thomas est un épicurien. Il apprécie les belles et les bonnes choses. Il aimerait bien avoir le don d'ubiquité pour mieux gérer son temps. Avide de découvertes, c'est un véritable touche-à-tout : Éditeur-Bloggueur-Penseur-Rêveur. Il aime parler de tout, partout, avec tous.