Lucrèce Borgia est présentée au TNM dans le cadre du 375e de Montréal. À cette occasion, le théâtre accueille sur ses planches la prestigieuse Comédie-Française. Ce drame en trois actes de Victor Hugo est plein de fureur.
Dans l’imaginaire collectif, le seul nom de Borgia est tristement célèbre. On l’associe souvent aux mœurs dissolues de cette famille italienne, marquée par la luxure et la tyrannie. Leur histoire a donné lieu à bon nombre de livres et de séries TV. Dans cette adaptation, on suit les pas de Lucrèce Borgia. Une beauté venimeuse à la réputation sulfureuse. Une duchesse aussi crainte que méprisée, à qui l’on prête de nombreux amants et autant de soupçons d’empoisonnements. C’est donc une rose écarlate au parfum mortel.
Ce portrait donne bien le ton de cette sombre pièce. Lucrèce Borgia y est présentée comme une femme tourmentée. À Venise, elle poursuit le jeune Gennaro dont elle semble follement éprise. Pour lui, elle aspire même à la rédemption de ses péchés. Mais le jeune homme n’est nul autre que son fils qui ignore tout de l’identité de ses parents. Voilà le cœur de ce dilemme très racinien : Lucrèce est une mère amoureuse. Or, l’intrigue est loin de se résumer à une simple histoire d’inceste. Et pour cause, Hugo brouille habilement les cartes. Il en est de même pour l’interprétation des comédiens dont le jeu est tout aussi ambigu.
Lucrèce Borgia, la femme furieuse
Sur scène, Elisa Lepoivre est une véritable louve dans le rôle-titre. Sa Lucrèce Borgia est toujours en alerte, prête à rendre coup pour coup les outrages dont elle est la cible. Les excès de rage de la comédienne témoignent de l’instabilité émotive du personnage. Mais l’interprétation d’Elisa Lepoivre est toute en nuances. Elle est tour à tour fragile et hautaine, tendre et hystérique. Ce qui donne une profondeur à la duchesse. Au final, on ignore si Lucrèce aime son fils comme une amante possessive ou une mère protectrice.
Face à elle, Gaël Kamilindi est un fougueux Gennaro. Son physique de jeune premier sert bien le rôle de cet aventurier idéaliste. Quant à Christian Hecq, c’est un machiavélique Gubetta. Son interprétation apporte un cynisme et une touche de drôlerie, là où ne s’y attend pas. Âme damnée de Lucrèce, il est celui qui attise la haine et orchestre la vengeance. Ce trio est renforcé par des rôles secondaires qui concourent au succès de la pièce.
La mise en scène de Denis Podalydès est assez classique. Sa version de Lucrèce Borgia reste dans la pure tradition du Théâtre français, sobre et élégante. Les costumes brillent en cela par leur simplicité, et le décor propose quelques beaux effets. On notera toutefois l’originalité des masques dont la difformité fait écho à la bestialité des personnages. Le texte de Victor Hugo n’a rien perdu de son mordant avec des répliques affûtées comme des lames de rasoir. Lucrèce Borgia demeure un drame romantique sur la cruauté des sentiments, mais aussi sur la place de la femme dans un monde d’hommes.
Lucrèce Borgia
TNM jusqu’au 4 août
Texte : Victor Hugo
Mise en scène : Denis Podalydès.
Scénographie : Eric Ruf
Avec Eric Ruf, Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Gilles David, Jérémy Lopez, Clément Hervieu-Léger, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot, Benjamin Lavernhe, Claire de La Rüe du Can, Gaël Kamilindi, Théo Comby Lemaitre, Pénélope Avril, Vanessa Bile-Audouard et Marianna Granci.