Ne m’oublie pas exhume un chapitre obscur de l’histoire anglaise où des milliers d’enfants ont été arrachés à leur famille pour peupler les colonies britanniques et leur servir de main-d’œuvre bon marché. Le dramaturge australien Tom Holloway ravive ce sinistre épisode dans sa pièce, car son pays a soutenu et encouragé ce trafic humain jusqu’en 1968. Il s’en est inspiré pour suivre l’itinéraire de Gerry, une victime de cette politique migratoire.
Ne m’oublie pas retrace le parcours d’un homme qui cherche à reconstituer les pièces de son passé. Se croyant orphelin, il découvre un jour que son statut est tout autre. Et là, c’est le choc. Gerry a non seulement été enlevé à sa mère à l’âge de 3 ans, mais en plus il a été déporté en terre étrangère. Comment encaisser une telle nouvelle et accepter qu’un mensonge ait cimenté son existence ? Aujourd’hui, Gerry est alcoolique, brisé par des années de labeur et d’abus de toutes sortes. On lui a volé sa vie, et tous ses repères reposent sur une effroyable imposture.
N’oublie pas ta famille
François Papineau incarne cet homme abîmé par la vie. Avec son air bourru, le comédien dégage une énergie négative, presque sauvage, qui est avant tout physique. Son personnage de Gerry est apathique, voire antipathique, aussi mal à l’aise avec les mots qu’avec les gens. Grâce à une prestation tout en nuances, François Papineau épouse les fêlures de cet écorché vif. Car l’instabilité de Gerry cache une grande vulnérabilité : un insatiable besoin d’être aimé. Il aimerait se connecter à Nathalie (Marie-Ève Milot) pour être un bon père, mais il ne peut lui offrir ce dont il a toujours manqué. Pas étonnant que sa relation avec sa fille soit si conflictuelle.
La pièce est en cela un drame où les personnages sont enchaînés à leurs sentiments. Nathalie en veut à Gerry pour ses abus d’alcool et ses excès de rage, Gerry fulmine d’avoir été privé d’enfance. Quant à Marie, elle est une mère fragile qui ne s’est jamais remise de la perte de son fils unique. Louise Turcot est bouleversante dans ce rôle. On ne peut s’empêcher d’être touché par son interprétation à fleur de peau.
Ne m’oublie pas revient sur la tragédie méconnue des British Home Children que l’auteur Tom Holloway a eu le courage de raconter. Malgré la difficulté du sujet, il aborde avec finesse et sensibilité le sort de ces enfants sacrifiés. Comment faire la paix avec son passé, panser ses blessures ou apprendre à aimer sont quelques-uns des thèmes de la pièce. Dans ce drame, on cherche aussi à s’enraciner pour se réconcilier avec soi.
Théâtre Duceppe jusqu’au 25 mars
Texte Tom Holloway
Traduction Fanny Britt
Mise en scène Frédéric Dubois
Distribution François Papineau, Louise Turcot et Marie-Ève Milot