La pièce Noir, mise en scène par Jérémie Niel, est une proposition singulière. Fruit d’une collaboration entre le metteur en scène et les comédiens Christian Bégin, Evelyne de la Chenelière et Justin Laramée, elle s’inscrit résolument dans le registre du théâtre expérimental.
Ce huis clos lugubre se déroule au fond des bois. Là où le soleil ne pénètre jamais. On y rencontre un notable désabusé, une bourgeoise dépravée, un homme servile. Chacun est prisonnier de ce lieu maléfique autant que de ses sinistres souvenirs. Tour à tour, les personnages seront victimes ou bourreaux. Inexorablement unis par le poids d’un cadavre autant que par celui d’un lourd secret.
La forêt, décor hostile, décharné, est à l’image de ces trois êtres humains maudits. L’obscurité dans laquelle la salle est plongée exalte la noirceur de leur âme. Bruits sauvages et grondements inquiétants se font l’écho de leur bestialité. Ceci grâce à la conception sonore de Sylvain Bellemare (Oscar 2018 du meilleur montage sonore pour Arrival de Denis Villeneuve).


Pour quelles raisons ces personnages errent-ils dans des ténèbres glaciales ? De quoi sont-ils coupables ? Nul enquêteur pour éclairer le spectateur dans ce sombre polar. Dès lors, comment étanchera-t-il son désir de dénouer les fils de l’intrigue?
On cernera les blessures des protagonistes en prêtant l’oreille à leurs marmonnements. On écoutera leurs confidences chuchotées ou au contraire, hurlées à tue-tête. Mais c’est davantage grâce aux indices semés dans la bande sonore que l’on découvrira les ressorts du drame. Au fur et à mesure que tombent les masques, une vérité angoissante verra le jour dans les ténèbres… Pourtant, au cœur de cet enfer glauque où viennent s’échouer les destins, il sera aussi question de sollicitude et d’innocence. De rêves et d’évasion.
Difficile pari pour les quatre interprètes que de jouer dans une noirceur quasi totale. Jamais, ils n’apparaîtront à visage découvert. Ils titubent parmi les obstacles, troncs gisant au sol et souches massives. Ils seront tantôt silhouettes trébuchantes ou ombres rampantes. Figures prostrées ou dressées en combattant. Saluons leurs performances lors de scènes parfois crues, toujours cruelles.
Noir fait vivre un moment de théâtre exigeant, tant pour les acteurs que pour le public. Un public qui devra accepter un parti pris original. Celui de se laisser porter par une ambiance sonore et visuelle plus que par un récit narratif. Une expérience avant-gardiste déstabilisante.
Noir
Jusqu’au 9 février 2019
Une production de Pétrus, en codiffusion avec le Théâtre de Quat’Sous
Script-édition : Evelyne de la Chenelière
Scénario : Christian Bégin, Evelyne de la Chenelière, Justin Laramée et Jérémie Niel
Mise en scène : Jérémie Niel
Avec : Christian Bégin, Evelyne de la Chenelière, Justin Laramée, Stefania Skoryna et les voix de Jeanne Chaumont-Goneau et Loula Ospina-Kirouac