Pour la présentation de la saison 2018/2019 du Théâtre Duceppe, nous avons interviewé l’un des deux nouveaux directeurs artistiques. David Laurin a ainsi répondu à nos questions pour ce programme au plus proche de l’actualité.
- Après le parcours remarquable de Michel Dumont de 27 saisons, quels ont été les principaux défis dans cette première saison programmée par vos soins?
David Laurin (DL) : Bonne question… Pour nous le défi principal, c’est le développement des publics en ce moment au théâtre. C’est donc d’aller chercher les plus jeunes tout en gardant notre base très solide d’abonnés qui sont un peu plus âgés. Concilier les deux, sans qu’il y ait une partie ou une autre qui soit choquée par le programme. Aller chercher des pièces qui vont rejoindre le plus grand public possible. C’est ça le plus gros défi du moment. On ne peut plus cibler nécessairement un groupe d’âge dans le programme, cela serait trop risqué pour le théâtre.
- Que représente cette nouvelle aventure, pour votre binôme si complice et fort en expérience?
DL: Avec Jean Simon (le second directeur), on a une super équipe. Cela fait 8 ans qu’on travaille ensemble. Et c’est pour ça qu’on a déposé notre candidature pour être les deux à la direction, car on est vraiment complémentaire, on se relance constamment. En fait, on considère qu’on travaille mieux l’un avec l’autre que tout seul, et puis cela nous donne deux fois plus d’heures (rire).
Par exemple on est très présent sur le terrain, on va voir beaucoup de spectacles, on voyage beaucoup à nos propres frais, pour essayer d’amener ce qui a de plus actuel, et c’est une grande force. Cela nous permet aussi de continuer à être des artistes actifs à Montréal et dans notre société. Des artistes qui continuent de rencontrer et côtoyer des gens. Si on me propose un rôle dans une pièce par exemple, je sais que je pourrai l’accepter, car Jean Simon pourra prendre le relais dans les bureaux, et inversement, si on lui propose une mise en scène. Et pour nous c’est vraiment important.
- On passe à présent au cœur du sujet : votre programmation. Quelle est la ligne directrice de cette nouvelle saison du théâtre Duceppe?
DL: L’actualité, c’est vraiment ce qui nous motive en général. On ne s’en cache pas, on veut juste trouver les meilleures pièces possibles. C’est ce qui nous drive, avec ce défi décrit précédemment : trouver les bonnes histoires pour le plus large public. Ce qui nous a vraiment animés cette saison, c’est ce rapport à l’actualité.
Pour nous, la pièce qui va se détacher du lot, c’est celle qui parle de nous, ici et maintenant. C’est celle qui nous fera nous questionner, en sortant de la salle, sur la société dans laquelle nous évoluons. Des pièces comme Consentement ou J’aime Hydro qui sont vraiment directement liées à la société d’aujourd’hui. On a aussi cherché des pièces plus universelles comme La face cachée de la Lune qui pour nous est un néo-classique québécois, qu’on voudrait voir encore jouer dans 20 ans. Quand nous l’avons vu, ça a été marquant et on voudrait que les nouvelles générations puissent le découvrir aussi. Sinon Des Souris et des hommes pour laquelle on voulait avoir une jeune équipe sur cette création.
- Les mots suivants définissent les valeurs du Théâtre Duceppe. Quelle pièce de votre programmation y associeriez-vous le plus ? Pourquoi ?
- Ouverture
DL: Oslo, car on parle d’une guerre, deux clans qui sont des ennemis jurés dans un des conflits les plus rigides de l’histoire de l’humanité, le conflit israélo-palestinien. Et on a ces deux diplomates norvégiens qui avaient juste envie de faire en sorte que cette guerre cesse. Les premiers qui sont allés s’asseoir à table sont un professeur d’université israélien et un représentent de gouvernement de l’OLP (Organisme de Libération de la Palestine) ; ça a été un miracle qu’ils se retrouvent face à face pour ouvrir la discussion, et le mot “ouvrir” est là. Et cette ouverture venait du fait qu’ils étaient fatigués de la guerre, fatigués de la traîner. L’épuisement qui amène l’ouverture, mais l’ouverture avant tout.
- Accessibilité
DL : Ta question est dure… J’ai envie de répondre qu’elles le sont toutes, mais je vais dire Des Souris et des hommes. Peu importe de quel pays on vient ou de quelle religion on est, cette histoire est universelle et intemporelle. Et en plus, dans l’adaptation de Jean Philippe Lehoux, la pièce est travaillée dans une langue résolument d’ici et d’aujourd’hui. Ce qui est une combinaison explosive d’accessibilité.
- Équité
DL: Consentement dénonce un peu ce qui est lié au mouvement MeToo, c’est-à-dire cette culture bien implantée d’une espèce de violence psychologique ou sexuelle, qui est là depuis des millénaires envers les femmes. Les choses changent tranquillement, mais il faut encore des coups de barre. Puis en terme d’équité, il y a des questions qui sont posées sur le rapport homme/femme.
L’homme qui a plus facilement des privilèges, comme des postes en entreprise. Dans Consentement, on ratisse large alors que le sujet principal de la pièce est vraiment une situation qui se passe dans un couple d’avocats qui décident de se quitter et de faire une dernière fois l’amour. Mais justement la ligne n’est pas claire pour savoir si la décision était commune ou si c’était juste lui qui a décidé la chose. Avec pour conséquence le lendemain d’une mise en demeure, mise en place par son ex-conjointe. C’est ce jeu d’avocat dangereux qui soulève cet enjeu d’équité.
- Enfin, dernière question : quelle est la pièce coup de cœur, ou celle que vous avez le plus défendue pour pouvoir la présenter dans votre programmation?
DL: J’aime Hydro a était vraiment été notre coup de cœur. Cette pièce a vraiment eu cet impact-là quand on est sorti de la salle. On voulait tout de suite contacter Christine Beaulieu afin de voir avec elle comment c’était possible de faire une production chez nous. C’est vraiment l’œuvre la plus percutante dans la dramaturgie québécoise de cette dernière année. Avec Jean Simon nous l’avons adorée, et ça a été un vrai succès aussi au niveau des critiques. Sans compter que nous sommes allés la voir deux fois. Le succès était le même à Montréal et en région. Les gens quittaient la salle après 3h30 de spectacle sans s’être posé une seule fois la question du temps.
Et puis il y a Consentement qui nous a fait travailler, parce que les droits étaient en train d’être vendus aux Américains. Il a fallu batailler pour leur faire comprendre qu’ici c’était le français qui était parlé, et être capable de mettre la main sur ce texte. On a vraiment échangé beaucoup de courriels pour leur montrer l’engouement et le fait qu’on n’allait pas voler du public américain anglophone. C’était trop actuel comme texte pour attendre deux ans avant de le faire. C’est en ce moment que ça se passe. Et on a fini par réussir à le mettre dans notre programmation.